Freak style et dérisison : 5 Gonzo movies.

Publié le par NoWay

Pour creuser le sillon de l’article du KrashWar n°0 sur les œuvres de l’incroyable Hunter S. Thompson (D.R.I.P.), mutant perturbé de la littérature américaine, nous allons maintenant nous intéresser à quelques films qu’on se permettra en son honneur (posthume) de qualifier de Gonzo, 3 étant directement liés à son œuvre, c'est-à-dire explorant l’espace américain, ses rêves et ses mythes à coup de substances psychédéliques, psychoactives et alcooliques variées, d’un engagement personnel sans faille et d’une (auto)dérision la plus corrosive possible, dans le but avoué étant de décaper le vernis de politesse, de culture et de civilisation qui recouvre tel un linceul les réalités parfois peu ragoûtantes de notre civilisation occidentale viellissante. Nous allons ici nous pencher sur 5 de ces films (dont un n’est pas encore sorti), 3 étant des adaptations de l’œuvre du fameux Raoul Duke (pseudo le plus usité de Thompson) : Where the buffalo roam (1980) de Art Linson, le célèbre Las Vegas Parano (1998) de Terry Gilliam ainsi que Rum Diaries, projet en cours de réalisation par Benicio Del Toro (Dr Gonzo) pour sa première mise en scène. Avant de s’y attaquer, nous allons revenir sur deux films majeurs qui méritent chacun pour des raisons diverses l’étiquette Freak movie, soit l’illustre Easy Rider (1969) de Dennis Hopper et le jouissif The Big Lebowski (1998) des frères Cohen.

A tout seigneur tout honneur, commençons par le grand ancien, le film culte qui, au tournant des 60’s a marqué de manière profonde le cinéma indépendant et alternatif américain : Easy Rider. Réalisé en 1969 par Dennis Hopper, artiste polymorphe et déjanté (parfois proche de l’auto-destruction) à cette époque et figure de la contre-culture américaine (connu depuis les années 80 surtout pour ses performances d’acteur souvent ironiques et décalées, cf. True Romance), avec lui-même, Peter Fonda et Jack Nicholson (une de ses toutes premières apparitions au cinéma) dans les rôles principaux, cette traversée de l’Amérique (de la Californie à le Nouvelle Orléans) par deux motards marginaux (bientôt rejoints par Nicholson en avocat en rupture de ban, théoricien de l’impasse américaine), sortes d’incarnations de la jeunesse hippie en rupture avec l’Amérique traditionnelle, marqua son temps (et le cinéma) de façon durable. Road movie mid tempo, nonchalant, cadencé par la musique d’artistes de la mouvance alternative américaine comme les Steppenwolf (le fameux, et assez pénible, Born to be wild), Jimi Hendrix ou Bob Dylan, il narre l’épopée de jeunes marginaux adeptes de drogues psychédéliques, de free sex et d’un certain hédonisme à la recherche du vieux rêve américain de liberté, d’indépendance et de grands espaces, enterré sous les gravats de la société consumériste en pleine expansion. Film de référence du cinéma indépendant (fait avec peu de moyens, par des jeunes et pour des jeunes), il connut un énorme succès et devint un des symboles-phares de la contre-culture et de l’esprit de la fin des 60’s. Outre cet aspect, le film, qui tourne vers la fin au drame est aussi une glaçante remise en cause de la normalité et de l’intégration sociale dans cette nouvelle Amérique vouée au commerce et au rendement ainsi qu’un constat sur l’échec probable (et qui arriva) des utopies hippies, pacifistes et libertaires contre le mur d’une réalité sociale et politique assez sordide et absolument conservatrice qui allait les rejoindre et contre lequel ces mouvements allaient se fracasser (cf. Las Vegas Parano). Pour tout cela, pour ses qualités intrinsèques (esthétique, réalisation, tempo) et pour ses excellents acteurs, ce film qui aura bientôt 40 ans mérite toujours d’être vu ou revu, comme témoignage d’une tentative malheureusement vouée à l’échec de vie alternative, pour tous ceux en tous cas qui ne sont pas définitivement allergiques aux 60’s, à leurs jeunes en révolte et à leur musique (ce qui semble être le cas d’un nombre important de collaborateurs du KrashWar). Good old times, where art thou ?

Presque 30 ans après, passons maintenant à l’excellent The Big Lebowski des frères Coen (celui-là réalisé par Joel Coen) qui met en scène 3 descendants patentés des années 60-70, vivant à l’écart de la société et du monde dit « normal » une vie taillée à leur mesure focalisée autour du Bowling (qui constitue le cœur du film et n’avait jamais été filmé avec un tel style et une telle passion auparavant) et située loin des contingences de la vie moderne et du travail. Le trio infernal au centre du film, composé de l’ultime « cool lazzy man » The Dude, de son camarade ancien du Vietnam non réinséré et de Donny, surfeur timide et à côté de la plaque, est magistralement interprété par Jeff Bridges (révélation dans un rôle comique !), l’impayable John Goodman (abonné aux films des Coen) et du globuleux Steve Buscemi (« Shut the fuck up Donny ! ») se retrouve embringué dans une histoire totalement farfelue comportant notamment un milliardaire, sa poupée délurée et une bande de nihilistes (des anciens d’Autobahn !), tout cela en plein milieu du capital championnat de bowling auquel nos trois hurluberlus participent avec ferveur. Ils croisent sur leur parcours dévastateur et absurde toutes sortes de personnages hallucinants et hauts en couleur, tels ceux magistralement interprétés par, entre autres, John Turturro (« Nobody fucks with Jesus »), Julianne Moore (action painting en tenue d’Eve), Ben Gazzara (businessman de la débauche) ou David Thewlis (dandy maniéré et complètement déconnecté). Sorte de comédie absurde et décalée, flirtant parfois avec le complet surréalisme, The Big Lebowski est non seulement un film étrangement drôle, mais aussi une peinture de personnages en marge, sorte de freaks pépères (à l’image du Dude) tentant de vivre à l’écart du monde trépidant du business américain et de ses mythes de corps parfait et d’amélioration de soi-même. Copieusement arrosé d’alcool et de quelques produits psychédéliques, The Big Lebowski, sorti la même année que Las Vegas en est le pendant cool et l’indispensable complément, les deux réunis démontrant à eux seuls que le Freak Power et la contre-culture née des 60’s n’a pas encore disparu du cinéma américain actuel. Film immanquable donc, sans doute la meilleure comédie des frères Coen. « Sometimes there’s a man…yunno…sometimes, there’s a man !… »

Passons maintenant au cœur du sujet avec les films directement tirés des livres du Gonzo journaliste Hunter S. Thompson, reporter de l’ultime dans le monde politique, sportif et partout où sa folie a pu le mener. Deux adaptations de ses livres ont pour l’instant vu le jour : l’excellent Las Vegas Parano (Fear And Loathing In Las Vegas en V.O.), daté de 1998, adaptation fidèle par l’ancien Monty Python Terry Gilliam (Brazil, Le Baron de Munchausen, L’armée des 12 singes) du livre d’Hunter du même nom avec Johnny Depp (excellent dans le rôle de Raoul Duke, alter-ego de l’auteur), Benicio Del Toro (méconnaissable et fabuleux en avocat obèse et complètement psychopathe) dans les rôles principaux et des actrices comme Cameron Diaz (groupie de motards) ou Christina Ricci (« She paints Barbara Streisand »). Suivant scrupuleusement le texte d’origine, le film s’avère être une odyssée psychédélique incroyable « au cœur du rêve américain » (comme se plaît à le dire Johnny Depp) de deux freaks atomisés à quasiment toutes les drogues et substances connues jusqu’alors en cet an de grâce 1971. Incroyablement drôle, totalement jeté et magistralement interprété et réalisé, il relate aussi une expérience limite de coexistence entre un monde organisé soumis à des lois et deux explorateurs de l’extrême jetés à corps perdu dans un trip absolu de virée totalement chaotique et sans limite.

Cadencé par une pire musique psyché 60’s ou du Rock’N’Roll déconnecté, Las Vegas Parano est le film culte sur Thompson et sa folie (ou son extra-lucidité) et une des œuvres majeures de la culture Freaks et du psychédélisme actif.

Mais alors que de nombreuses personnes croient que le film OVNI de Gilliam est le seul existant sur les excès du journalisme Gonzo, les improbables explorateurs du KrashWar en ont exhumé un autre, quasi-inconnu en Europe et qui vient de sortir en DVD aux Etats-Unis, l’étonnant Where the buffalo roam (1980) de Art Linson (inconnu au bataillon) avec l’excellent Bill Murray (l’homme entre autres du Jour de la Marmotte !) dans le rôle de Thompson himself et Peter Weir dans celui de son avocat. Basé sur 3 récits tirés de La grande chasse aux requins, recueil d’articles de Thompson, le film est comme Las Vegas une série d’expériences déjantées de Thompson et de son avocat (le fameux Oscar Zeta Acosta, personnage haut en couleur, disparu dans les 70’s sur lequel le KrashWar reviendra un jour). N’ayant pour l’instant pas encore mis la main (la patte !) sur un exemplaire de cette œuvre rarissime, nous ne pouvons que nous faire l’écho des réactions glanées auprès de spectateurs d’outre-atlantique, qui considèrent majoritairement le film comme tout à fait intéressant, voire indispensable pour les fans du journaliste fou, présentant une facette assez différente (« plus humaine » ??!, disent-ils) de Thompson que celle vue dans Las Vegas. Si le film semble fort amusant à voir, la réalisation paraît être largement moins étonnante et inspirée que celle de Gilliam (ce qui nous étonne peu), et Peter Weir ne semble pas très apprécié dans le rôle de l’avocat, surtout comparé à la performance invraisemblable de Del Toro dans le même rôle. Par contre, un des gros points forts du film semble être (20 ans avant son statut actuel d’acteur culte) la prestation livrée par Bill Murray (Ghostbusters, Un jour sans fin (!!), Coffee and Cigarettes ou Lost In Translation) dans le rôle principal, qui, dans un style différent, semble tenir la dragée haute au pourtant excellent Johnny Depp. Avouons que cela ne nous étonne pas autre mesure. Donc, si Where the buffalo roam ne semble pas avoir au niveau cinématographique la valeur de Las Vegas Parano, il semble néanmoins hautement recommandé aux fans de Thompson voire à ceux de Bill Murray (ou des deux !!). C’est pourquoi le KrashWar lance un appel à toute personne disposant ou étant sur la trace de ce film peu trouvable de nous prévenir au plus vite par voies électroniques. A bon entendeur, salut !!

Enfin, il est à signaler que, sauf accident, Benicio Del Toro (l’avocat dans Las Vegas) perpétue la tradition Gonzo au cinéma en adaptant pour le grand écran Rum Diaries (Rhum Express en français) de Hunter S. Thompson, roman relatant les divagations de journalistes lourdement alcooliques dans les années 60 à Puerto Rico. Bon choix de l’ami Del Toro pour son 1er passage derrière la caméra, d’autant que Johnny Depp devrait reprendre son personnage de Las Vegas et interpréter pour la deuxième fois Thompson lui-même et que sont annoncés à ses côtés Del Toro, Josh Hartnett et l’excellent Nick Nolte (qui en connaît un rayon sur l’alcool et la drogue !). Que du beau monde donc et un film qu’on attend au plus vite. Take care !!

Petite remarque impérative pour clore cet article sur le cinéma débile freak : comme quasiment tous les films valables, mais peut-être plus encore pour ceux-ci, le KrashWar ne saurait trop recommander de les visionner en V.O., sous peine de voir s’agiter sur son écran une bande de clowns aux voix ridicules et improbables (voir la V.F. de Las Vegas Parano).

Enfin, rappelons pour les fans de Hunter S. Thompson la sortie en français le 25 mai dernier de Gonzo Highway chez Robert Laffont, sélections parmi les 20 000 lettres qu’il a écrites dans son existence des plus corrosives et des plus déjantées. A dévorer d’urgence en avalant quelques verres à la mémoire de cet écrivain improbable, « too weird to live, too rare to die » !!

 

Publié dans Cinéma

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L
Bon blog, que des fils que je kiff, surtout easy rider et las vegas parano!!<br /> Mercide ta visite, je ne tarderai pas à repasser chez toi!!
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I
eheheh, <br /> j'ai trouvé une copie de<br /> Where the buffalo roam <br /> <br /> ^^<br /> --------------> isAAAc
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T
La VF de Vegas Parano n'est pas ce qu'il y a de pire... mais ça ne vaut pas une VO, c'est certain.
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A
Si vous connaissez le logiciel emule, qui permet de télécharger des films assez illégalement, ma foi, mais aussi de trouver des raretés, je vous conseille d'y jeter un oeil, serveur razorback 2.0 ... Le lien vers le film que vous recherchez :<br /> ed2k://|file|1980%20Where%20the%20Buffalo%20Roam.avi|699074560|32D1F580B383842D8D05A138B4997A9F|/<br /> <br /> Voilà... Au plaisir, bon film ! (merci de me l'avoir fait découvrir)
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B
bon choix de movies, et comme je suis cinephile, le sujet m'a plu !
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