Désirée la négresse.

Publié le par Poum

Il est neuf heures à la ferme quand la Géraldine arrive enfin. Le père est à cran, il est prêt à lui mettre la branlée de sa vie, mais quand il la voit, sa rage change de cible. Il faut dire qu’elle est pas belle à voir, la Géraldine. Elle a la robe déchirée, elle retient son chemisier pour cacher ses seins, sa lèvre est fendue, son nez saigne aussi, elle a de la terre dans les cheveux, ses larmes font deux sillons clairs sur ses joues. La mère se précipite, pendant que le père hurle : « Qui t’a fait ça ? ». Il est déjà prêt à prendre son fusil quand la réponse tombe dans un couinement : « Les soldats. ».

Depuis que les américains avaient remplacé les allemands la situation n’avait pas vraiment changé à la ferme. Les allemands violaient les voisines quand la Géraldine était encore gamine, maintenant qu’elle était grande et belle, c’était un gibier de choix pour les GI. Et pas la peine d’aller voir les gendarmes, la MP ou de chercher à se venger. De toute façon il faisait noir et la gamine est incapable de les reconnaître. Alors puisqu’on peut rien faire, on la gifle par principe, on la lave et on prie.

On prie le bon Dieu pour qu’il nous pardonne nos péchés, pour qu’il ne pardonne pas ceux qui nous ont offensés et pour qu’il nous délivre du mal. Du mal tapi dans le ventre de la gamine. « Oh mon Dieu, faites qu’elle ne soit pas enceinte. » On prie en espérant que tout va s’arrêter là. Et puis on part se coucher parce que c’est la ferme, et que la seule chose qui compte vraiment c’est les vaches.

Mais le bon Dieu, lui, il est pas vraiment d’accord, il a un sens de l’humour bien particulier, à croire qu’il nous a créés juste pour ça, pour se fendre la gueule à nous voir nous débattre dans la merde.

Alors évidemment la Géraldine est prise et pas qu’un peu. Le rebouteux a abandonné, elle a même essayé de se jeter dans l’escalier, rien à faire le chiard est bien accroché.

La seule solution c’est le Gontrand. Le Gontrand c’est le garçon de ferme. Il a débarqué dans le pays y’a un an, avec un accent du Sud, qu’il a déjà perdu. Il cherchait du boulot et en a trouvé là. Il se prétendait ancien résistant du côté de Lyon, mais qu’il était parti écoeuré par les magouilles des collabos pour rester en place. En fait c’était un ancien milicien détaché à la SS pour traquer les juifs, tziganes et autres métèques. Il avait changé d’identité en prenant les papiers d’un rouge qu’il avait enfermé dans une cave en prévision de la libération.

C’était pas une idée à lui, ils étaient plusieurs à avoir fait de même. Le plan était simple, on sélectionne des mecs qui nous ressemblent, et le jour J on les bute, on les laisse dans un coin avec nos papiers et on se barre avec les leurs. C’est comme ça que Patrick, qui s’appelle Gontrand maintenant est remonté tranquille jusque du côté d’Evreux.

Enfin bref, donc le père va voir le Gontrand, et après quatre calvas, lui fait la proposition suivante : épouser la Géraldine, reconnaître le bâtard, et récupérer la ferme en dot, ou plutôt en compensation. « Ma fille l’était plutôt gironde avant de se faire engrosser, m’étonnerait qu’ça revienne pas après les couches. T’auras pas de mal à lui en faire rien qu’à toi. Et pis l’bâtard, ben y’a que nous qui savons, t’auras l’air du gars qu’on oblige à se marier parc’qu’il a engrossé la gamine, plutôt qu’du connard. »

Le calva ça fait réfléchir vite. De toute façon, il espérait bien se marier la môme et ses vingt cinq hectares avec.

Le calva ça rend vicieux. Il se prit à espérer que le petit monstre soit une fille, ça lui en ferait deux pour le prix d’une. Et en plus on le payait pour ça.

Alors avec un sourire généreux, sur le ton de la plus grande compassion, le Gontrand laissa tomber : « J’accepte. ».

A la ferme c’était la fête, une vraie libération, on en oubliait même le fond de l’histoire, qui grandissait accroché à son placenta comme un chien à son os.

L’honneur était sauf, on pouvait retourner nourrir les cochons en sifflotant. On célébra les fiançailles avec célérité. La Géraldine, qui n’avait pas son mot à dire, était bien soulagée. C’est vrai que le Gontrand était loin d’être un beau gars, mais au moins il était propre, et, pour ce qui était de sa propre expérience, semblait un homme doux. Il est vrai que malgré tous ses malheurs, la Géraldine continuait fermement à croire au bon Dieu, qui ne l’oublions pas, peut parfois se montrer très espiègle. Elle se voyait déjà accoucher d’un petit Jésus bis, pas moins, malgré le fait qu’elle n’était plus vierge, plus du tout d’ailleurs car le Gontrand, prétextant de son ventre grossissant, avait vite emprunté une voie parallèle.

C’est vrai qu’en la matière il était expert. Il avait acquis une solide expérience dans les cellules de la Gestapo de Lyon, la SS ayant une véritable tradition sodomite. Le Gontrand avait accès à toutes les petites juives, en transit, et ne se privait pas de leur montrer à quel point il leur était supérieur.

La Géraldine elle préférait ça, plutôt qu’on abîme son messie. Le bon Dieu saurait lui pardonner.

En septembre, le dix exactement, la Géraldine accoucha. Dans la chambre, la mère et la sage femme comprirent qu’il aurait mieux valu que les allemands soient encore là, car s’il était sûr que l’enfant était une fille, il était clair aussi qu’elle était noire et en parfaite santé.

Il fallut la présenter à son père. A sa vue, le Gontrand se dit qu’on s’était bien foutu de sa gueule, qu’il s’était doublement fait baiser. Par sa femme et sa famille, et par les ricains. Et pendant que le bon Dieu se pissait dessus tellement il rigolait, le Gontrand courut chercher son P 38 qu’il avait caché dans la grange. Au premier coup de feu la sage femme dégagea par derrière, la négresse dans ses bras, et ne s’arrêta de courir qu’arrivée au bourg, où elle se réfugia au presbytère.

Le Gontrand avait commencé par s’en prendre à Bénito le berger picard qui gardait les poules. Il avait toujours considéré ce chien comme une insulte personnelle au vu de son passé. Dans la cuisine il tua son beau père à coups de crosse, non sans l’avoir copieusement insulté. La belle mère essayait d’intervenir, il lui régla son compte de la même façon, puis tira par trois fois dans le ventre vide de la Géraldine. Constatant la disparition de sa fille, fou de rage, n’ayant plus personne à massacrer, il marcha sur la forêt et se tira une balle en pleine tête.

Dès le lendemain matin, la gamine fut baptisée Désirée, et placée l’après-midi même à l’orphelinat. Où Dieu, bien sûr, gardait un œil sur elle, en attendant la suite.

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Publié dans POUM

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G
La famille y'a qu' ça d'vrai! On attend la suite...il y a 4 actes?
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Y
Voilà qui va motiver POUM. OUAIS ON VEUT LA SUITE
M
y a d'la joie et j'aime bien.
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